mardi 27 octobre 2009

Ce que torturer veut dire, de l'Antiquité à nos jours

Conférence 10/10/09 à la Halle aux Grains
Intervenants : CLAIRE ANDRIEU, professeure d'histoire contemporaine à l'IEP de Paris, MARIE-FRANÇOISE BASLEZ, professeure d'histoire antique à l'université de Paris XII, DENIS CROUZET, professeur d'histoire moderne à l'université de Paris IV, CLAUDE GAUVARD, professeure d'histoire médiévale à l'université de Paris I, FRANÇOISE SIRONI, maître de conférences en psychopathologie géopolitique à l'Université de Paris VIII

Introduction :

La présence de cette conférence vient de l'étonnement suscité par la lecture de récits de résistants du Nord de la France, durant la Seconde Guerre Mondiale qui présentent entre eux beaucoup de points communs et en particulier l'introduction de phases de tortures après des interrogatoires. Pourquoi, de la fin du XVIIIè siècle à l'entre-deux-guerres, la pratique de la torture a connu une éclipse, alors que maintenant elle connait un renouveau (cf. guerre en Irak). Suite à cela, la question de la torture en elle-même s'est posée.
Elle s'insère tout d'abord dans un univers mental (exposée/intériorisée/refoulée dans les cellules des prisons...) et culturel qui varie d'une époque à une autre.
Rappelons que l'ONU a signé en 1984 une Convention contre la torture, dont voici le premier article :
Aux fins de la présente Convention, le terme "torture" désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite.
I. Ce que torturer veut dire durant l'Antiquité

Pourquoi est-elle utilisée ou légitimée ? D'abord, il ne s'agit jamais d'une pratique régulière de la justice. Elle peut être utilisée en vue d'une quête de vérité et seulement appliquée aux esclaves puisque considérés comme extérieurs à la communauté et incapable de raison. En outre, pour Platon, le but de la torture est de "fournir un beau spectacle" car elle consolide les valeurs publiques. C'est une des deux façons de mettre à mort. La mort noble s'effectue, elle, par le poison (en Grèce) ou la décapitation (à Rome). Le corps mis en spectacle est exposé, abîmé, outragé de diverses manières. L'exposition du corps ne sert pas d'exemple. Selon Platon, il y a mise en jeu de concepts anthropologiques et théologiques : l'homme condamné ne peut pas devenir immortel, soit, l'abolition de la personne et du souvenir. L'immortalité était le point de mire de tous les hommes. Il fallait vaincre la mort par la "mort-exploit" pour atteindre l'immortalité.
Dans la torture, c'est l'inverse de cela qui est recherché. La mort doit être infamant, déshumanisante... Elle ne doit jamais être écrite ni représentée afin que le mort soit oublié. La mort spectacle est finalement très importante. Le spectacle est en effet le moment du consensus politique et social.
II. ce que torturer veut dire au Moyen-Âge

La torture existe, mais elle est peu employée. Moins de 1% des condamnés sont torturés, selon les registres. Cependant, la torture devient un moyen d'obtenir des aveux. Elle s'inscrit dans le cadre de procédures extraordinaires légales. Cela est rendu possible par l'existence au XIIIè siècle d'une masse de jugements liés à la justice des inquisiteurs : légalisation par la papauté.
En 1254, une ordonnance dit que l'on peut utiliser la torture pour des personnes mal famées. Par là, la torture légale se détache de la torture anarchique. Fin XIIIè, le Parlement de Paris juge en appel des plainte de tortures abusives. On réglemente alors la torture (sans la remettre en cause) : elle ne doit pas se faire de nuit, pas de réitération de la torture, elle doit être effectuée par des personnes légales. Fin XIVè, des aveux sont écrits. Pour qu'ils soient effectifs, il ne faut pas de "torture inhumaine", les aveux doivent être entendus selon la procédure, c'est-à-dire dans un cadre légal.
Quand a-t-on recours à la torture ? Lors de crimes politiques, de voleurs récidivistes... La torture s'effectue dans une salle fermée. Le corps n'est pas mis en spectacle et réservé à un petit nombre.

III. Ce que torturer veut dire durant l'époque moderne

Parallèlement on assiste à l'uniformisation de la torture et à sa critique, dès 1522. Des règles restrictives sur la torture sont mises en œuvre, relatives à la durée, aux personnes... En 1503, la torture est limitée et rationalisée en 1582 par le texte de Josse Damhouder, Praxis Rerum Criminalium.
On peut citer différents types de tortures : par l'eau, le vinaigre, l'estrapade, etc... La torture judiciarisée ne doit pas laisser de marques, le sang ne doit pas couler. Les pièces où se déroulent les tortures font partie de la torture, leur vision doit effrayer le condamné.
La torture s'effectue contre l'autre et contre Satan dont on pense qu'il est au sein du corps du torturé. Satan retient la vérité et l'empêche de torturer. La torture est vue comme une délivrance de Satan. La torture a lieu sous le regard de Dieu. En ce sens, elle est vue comme le moment de la purification du corps. Peu à peu,on voit que la foule s'approprie la torture et se substitue à la justice.

III. Ce que torturer veut dire à l'époque contemporaine

Si la torture est souvent pour faire parler, elle existe aussi pour faire taire. Rien ne justifie la torture. Pourtant, certains des pays qui ont ratifié la Convention de Genève pratiquent la torture. La torture pour faire taire crée une peur collective. Dans son usage contemporain, et dans l'exemple du Cambodge, la torture participe à l'édification de nouvelles sociétés ou de nouveaux États.
Le Cambodge a procédé à l'esclavage, aux massacres, aux sacrifices humains et à totalisé deux millions de morts sur sept millions d'habitants en deux ans et demi (de 1975 à 1979). Il s'agit de "déculturer" tout un peuple pour fonder un nouveau peuple universel.
Tout se déroulait dans les centres de sécurité dont le plus connu est le centre S21 dirigé par Duch (actuellement en procès). Il y a eu entre 12 et 16 000 victimes (seules 4 personnes y ont survécu). Son fonctionnement suivait un cercle infernal : arrestation, torture puis mise à mort. La torture devait aboutir à accoucher des confessions.
Même si les personnes n’avaient rien faits de mal, elles étaient accusées. Il leur fallait construire des aveux à partir de bribes d'éléments vrais de leur histoire. Ces aveux étaient mis en scène et déclamés publiquement. de plus, chaque individu devait dénoncer douze personnes. Cela constituait de véritables boucles de rétroactions. Selon Duch, la vérité se trouvait dans seulement 10% des récits et celui-ci pensait qu'il fallait éliminer la moitié de la population. La torture clôturait la société et lui permettait de retrouver la pureté originelle.

En guise de conclusion, je rappellerais que la torture se poursuit actuellement. Ci-dessous, un vidéo-clip de la campagne de sensibilisation d'Amnesty International.



Marion Salaün-Chollet

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