samedi 10 octobre 2009


« L’Histoire redonne sa chair au passé »


Cette année, la séance inaugurale revient à une philosophe : Sylviane Agacinski. Professeure à l’EHESS, ses travaux portent sur l’altérité, sur le rapport entre les femmes et les hommes dans le christianisme et sur leurs représentations respectives dans le théâtre. Son dernier ouvrage intitulé La vie en miettes s’intéresse au débat sur les mères-porteuses. Le sujet de cette conférence s’intitule La fabrication du corps. Son propos s’articule autour de la question de savoir si le corps, devenu désormais désincarné et apparaissant comme un ensemble de morceaux pouvant être utilisé à tout moment, garde encore un peu de son humanité. Dans un premier temps, Mme Agacinsky expose ce que sont le corps biologique et la reproductibilité technique pour, dans un dernier temps évoquer des limites possibles à la conception d’un trans ou post-humanisme.

Le corps biologique est une notion apparue avec les progrès extraordinaires de la science. Il devient alors une réserve de matériaux disponibles (sperme, organes, sang). Cela peut être dommageable car la dépersonnalisation issue de ces stockages rend possible un échange marchand (déjà effectif dans les pays pauvres). En outre, un pouvoir nouveau s’est érigé ; celui sur la vie, possédé par les bio-techniciens. La reproductibilité technique rendue possible par l’externalisation des processus de fécondation peut permettre la duplication des hommes et une modification génétique, transmissible de génération en génération, modifiant ainsi l’espèce humaine. A l’échelle animale, l’entreprise américaine « best friend again » clone vos chiens et vos chats pour que vous n’éprouviez pas de chagrin lors de la perte de votre meilleur compagnon. Un nouvel eugénisme pourrait dès lors survenir, un eugénisme non politique tel celui du IIIe Reich (encore que le danger existe toujours) mais un eugénisme libéral, à l’image de parents voulant choisir les enfants qu’ils auront.

Ces risques sont bien réels car une légitimité et un discours rationnel accompagnent les intellectuels prônant une fabrication de corps. En effet, l’espèce humaine a toujours été une espèce technique et la technique ne connaît aucune limite à part celles ontologiques et théologiques. Cependant, pour ces mêmes personnes, les limites iraient à l’encontre du concept de liberté, qualifiant ainsi leurs détracteurs « d’humanistes fondamentalistes ». Sylviane Agacinski essaie de contrecarrer cette réflexion et de répondre à la question centrale de tous ces débats de qu’est-ce qu’être humain ? Concernant la limite théologique, Agacinski, pense qu’elle se retrouve chez ses détracteurs. En effet, le schéma de Père créateur « se posant face au Monde » et commandant au Monde est adopté par les techno-biologistes. Il serait faux de penser que l’homme puisse être libre de créer. A cet égard, Agacinski utilise le concept de génération (en grec genesis signifiant l’engendrement) pour expliquer que l’homme ne peut interrompre son Histoire. L’homme se définit au fil du temps, par ses expériences passées et partagées à travers les siècles. Le « être humain » peut être compris par le biais de l’Histoire. Aucun modèle ne saurait définir l’homme. « L’être humain » est perceptible dans le vivre ensemble composé des Institutions et des mœurs façonnées au gré de l’Histoire. L’homme se raconte au fil du temps et se transmet des manières de penser, d’agir et de penser.
L’argumentation de cette philosophe me parut un peu faible. En effet, aucunes limites ne peuvent être mises en place face à la volonté de recherche et de découverte qui de tout temps a motivé l’homme. L’Histoire est à ce titre éclairante mais pas comme une réserve d’exemples bons ou mauvais. Selon moi, elle devrait essayer de pénétrer « l’outillage mental » qui caractérise cette fascination de l’homme à toujours braver l’impossible. Cependant, l’homme étant de l’homme responsable, le débat doit continuer afin de statuer sur la finalité de l’homme. Car en fin de compte tout s’y rapporte ; pourquoi chercher à créer des êtres humains dépassant la mort ou au service d’autres hommes ?



Benjamin Bruneau.

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