mardi 13 octobre 2009

Histoire du corps en occident

Conférence 08/10/09 à la Maison de la Magie
Invité : Georges Vigarello


C'est dans ce lieu étonnant qu'est la Maison de la Magie, dans une grande salle de spectacle que se déroule la conférence de Georges Vigarello, directeur d'études à l'EHESS.
Le traitement du sujet se fait en cinq points :
  • Que s'est-il passé avant ?
Il y a un double mal-entendu dû à la sensation de l'inexistence auparavant de cet objet d'étude qui ne paraissait pas intéressant (pourtant il y a bien eu des interrogations sur la question de l'hygiène ou de la santé) et au sentiment du désintéressement de la part des historiens (c'est encore une erreur, il s'agit seulement d'une approche différente, telle que celle des sciences sociales).
  • Malgré ce mal-entendu, pourquoi finalement cet intérêt ? C'est-à-dire pourquoi cet objet à pris de l'importance ?
  • En quoi cet objet permet d'inventer des lignes historiques, des saisies de thématiques historiques pour des thèmes qui n'étaient pas pris en compte ?
  • Quelles en sont les interprétations et les liens qui existent avec des thématiques historiques beaucoup plus larges ? Le corps n'est pas limité à une étude clinique.
  • Quelles sont les logiques corporelles ?
I. Double mal-entendu

A partir des années 70, on commence vraiment à parler du corps, avec une sensation de libération. Et souvent on se dit qu'on n'a pas vraiment parlé du corps avant. Le corps restait silencieux, caché, étouffé, refoulé. On serait alors passé d'une civilisation contre le corps à une civilisation moderne du corps.
Or, Georges Vigarello réfute cette conception car la notion de corps a toujours existé. Mais aujourd'hui on peut se poser la question d'un regard différent. Comment peut-on aujourd'hui poser autrement la question du corps ?
La description du corps des chevaliers au Moyen-Âge diffère complètement de la description des corps à la Renaissance (cf. les romans des différentes époques). Alors qu'on insistait sur les capacités alimentaires, la puissance, le corps droit... etc. , les tableaux de la Renaissance imposent l'acceptation du nu académique. D'autre part, si on lit Mme de Sévigné on aborde le quotidien dans son aspect le plus immédiat. En effet, celle-ci prodigue à sa fille des conseils relatifs à la nourriture ou au comportement par exemple, et donc on voit déjà l'inquiétude du mieux vivre et des soins à porter au corps. Enfin, avec le sport, Georges Vigarello va jusqu'à parler de changement de civilisation au XIXè siècle (du moins est-ce un forte impression). Un nouveau corps se découvre.


Qu'en est-il du point de vue des historiens ?
Comme nous venons de le dire, le corps est longtemps absent chez les historiens. Selon Winkelmann, historien de l'art, l'art évolue avec la civilisation. On observe des impacts sur le corps. En ce qui concerne Michelet, le corps a selon lui toujours existé de la même manière (cf. le fameux épisode du Camp du Drap d'Or qui opposa François Ier à Henri VIII). Toutefois, Georges Vigarello précise bien que le corps a existé de façons différentes selon les époques. Enfin, le géographe Paul Vidal de la Blache qui a fait une introduction à l'histoire de Lavisse, étudie lui le corps selon les déterminantes du sol et du climat qui exercent des contraintes sur le corps vivant (ex : œkoumène). On voit bien par là que les historiens se sont intéressés au corps.


II. Pourquoi alors cet intérêt ?

Lucien Fevre, qui a été à la tête de l'École des Annales, est un des premier à ce poser des questions. En 1924, il écrit La Terre et l'évolution humaine dans lequel il s'interroge sur la vie quotidienne des individus au XVIè siècle. Les conditions de vies physiques imposent des types de relations, de comportements et de décisions à la Cour. Cela conduit Lucien Fevre à exposer la chose suivante : la prise de décisions par rapport aux choses est très difficile à faire. Ainsi, la condition corporelle entraine des modes d'existence, de faire, de penser.

Jamais il n'y a eu un investissement sur le corps comme aujourd'hui. Nous vivons dans un corps auquel nous attachons qualitativement plus d'importance. Ceci veut dire que dans nos sociétés individualistes, il y a un investissement sur le présent : je suis ce que je ressens. Le corps est l'emblème de ce que l'on est. Alors qu'au XIXè siècle, le corps renvoie à l'appartenance sociale et le métier. Ces repères se sont effondrés.

Les sciences humaines et sociales ont tenté d'objectiver. Elles aident à nous donner des concepts qui sont des outils.
- La psychologie : le corps a une représentation, j'ai des repères internes en moi. Il y a donc une image du corps. Chacun a des images du corps spécifiques, par exemple au Japon, la place du ventre (lors du harakiri) est fondamentale. Dans les années 20, le mouvement physique ne prend plus son point de départ dans l'inconscience mais dans l'organique. Il s'agit donc d'une logique d'action.
- La sociologie : Bourdieu montre que l'habitus est une loi qui s'inscrit dans notre propre corps qui vient du social, qui est structurée et structurante.
- L'anthropologie : c'est dans le corps que se dessine le social (cf. Tristes Tropiques de Levi-Strauss).

Le corps occidental est caractérisé par une enveloppe qui a une limite physique. Elle est complexe car elle doit être poreuse à certaines périodes. Mais elle est de plus en plus nette. Et elle l'est d'autant plus que le corps ne supporte pas d'être agressé. Ceci peut être révélé dans l'étude de l'habitat.

III. Le problème de l'Histoire, l'invention d'objets

Tous les sujets en rapport avec le corps sont intéressants à partir du moment où l'on dit que le social, l'alimentation, l'apparence... etc se répercutent sur le corps. C'est donc en quelque sorte un espace qui s'éparpille sans fin. Là, on ne semble alors pas inventer d'objets.
Dans le livre d'A-M. Fugier : Les Bonnes, on voit que dans le monde bourgeois de la fin du XIXè siècle, il y a une manière physique d'installer une hauteur entre la bonne et les bourgeois grâce notamment à des trajet particuliers, de la nourriture, des soins...
Autre exemple, Les larmes prennent un sens nouveau à la fin du XVIIIè siècle. Elles expriment une sensibilité plus forte. Un homme peut pleurer en public. D'autres exemples montrent indéfiniment comment on s'invente des objets. De même le bronzage est une nouveauté, un signe de démarcation, et ceci dès l'accès aux loisirs. Autre
exemple l'histoire du visage, sujet improbable, fait pourtant partie des thèmes d'études actuels. Tous ces genres de sujets s'avèrent alors centraux.

IV. Nouvelles thématiques historiques et interprétations

Il y a une véritable fécondité des interprétations. On a maintenant à notre disposition une manière de parler autrement de ces objets d'études, en pensant notamment à l'apport de la psychologie, sociologie ou anthropologie... On peut parler autrement du social, de la culture et de la politique. Le social procède de la distinction dans laquelle le corps joue un rôle très important. L'histoire du vêtement par exemple (cf. conférence de Daniel Roche) montre son pouvoir structurant (plus qu'un effet de mode). De même, l'étude de l'allure allie sociologie et histoire des postures du corps, notamment visibles dans les diverses représentations du corps.

V. Constructions de logiques

Elles concernent les représentations du corps. Le travail sur le corps devrait toujours éviter l'émiettement au profit de la synthèse. Georges Vigarello développe ceci en deux points ; les logiques partielles et les logiques globales :
  • Les logiques partielles vont de l'intuitif au distancié/au complexifié.
Par exemple au Moyen-Âge, la consommation des épices cause un ébranlement sensé apporter de l'énergie. D'où, logiques de la sensation, de la ressemblance (ex : identification de l'homme à un animal), de la forme (ex : femme représentée toute en rondeur pendant tout un temps), des lieux (ex : histoire des maladies)...
  • Les logiques globales traversent l'ensemble du corps, lié à la culture, la société... Elles vont de l'homogène à l'hétérogène.
Le corps est fait d'humeurs (c'est la vision de l'Antiquité). Les objets du corps sont liquides. On observe à cette époque un regard particulier à la nourriture. La nourriture doit être la plus pure possible, l'ai respiré aussi, ainsi que le vêtement. Ceci vient du fait que tout passe par le corps et l'on considère que tout ce qui est en contact avec lui doit être sain afin de limiter les maladies. A partir d'un même repère on observe cependant des représentations différentes (vêtement ample pour laisser s'échapper les mauvaises humeurs ou au contraire, vêtement resserré pour limiter le contact peau/air vicié).
L'énergie permet de transmettre de la force. Le corps constitue une lieu de combustion (découverte de l'oxygène). Conséquences innombrables comme consommer de l'air le plus oxygéné possible. Ceci à des déterminantes sur la santé.
On pourrait encore développer de nombreux exemples mais dans l'ensemble, en partant de l'homogène, on parvient inlassablement à des pratiques hétérogènes.

Conclusion

L'histoire du corps est très diversifiée et porte parfois sur des sujets inattendus. Les données ne sont pas que juxtaposées. Nous sommes orientés vers une façon de faire l'Histoire sur une période, ce que Georges Vigarello regrette. La spécialisation des historiens est dommage car il faut penser sur le long terme. Outre la spécialisation qui reste toutefois nécessaire, il faut aussi dépasser cela par des recherches qui traversent le temps, nous faisant comprendre les bascules culturelles et qui permettent de nous interroger sur les questions d'aujourd'hui.


Marion Salaün-Chollet

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