mercredi 21 octobre 2009

«Dérive des civilisations, entretien avec Amin Maalouf.»



Le Salon du livre des rendez-vous de l'Histoire ne s'y est pas trompé, Amin Maalouf son président cette année, lui assurerait un beau succès. Romancier et essayiste franco-libanais, Amin Maalouf est devenu ces dernières années un auteur incontournable de la scène littéraire française. Ses œuvres sont imprégnées par son histoire, mêlant interrogations identitaires et questions de civilisations, et plus largement, se veulent une réflexion sur notre condition, nos identités et nos sentiments d'appartenance au monde. Les plus diffusées sont Léon l'africain, Le rocher de Tanios (prix Goncourt) et les Identités meurtrières.


Et quelle tête d'affiche! Un nom si connu attire les foules à Blois. Amateur d'Histoire ou de littérature, le public est venu envahir la Halle aux Grains. Plus une seule place pour espérer ne serait-ce qu'apercevoir le président du Salon du Livre. Interrogé par le journaliste Philippe Bertand, A. Maalouf nous livre sa vision du monde à travers son nouvel essai, Le dérèglement du monde. Il profite de l'évènement pour promouvoir son actualité, et il a bien raison, c'est aussi cela les rendez-vous de l'Histoire, une vraie promotion des nouveautés culturelles et littéraires.
Dérèglement du monde.
Qu'on ne s'y trompe pas, A. Maalouf précise, le terme de «dérèglement» employé dans le titre de l'essai, n'induit pas l'idée qu'il exista un monde normé et réglé. Pour lui, le monde n'a pas été conçu pour fonctionner de manière irréprochable. Et ce n'est d'ailleurs pas l'objectif de son essai, l'écrivain n'idéalise pas un monde parfaitement régulé. Il se veut l'artisan de la compréhension du dérèglement du monde. Ainsi, si pour lui notre monde n'est pas convenable, celui d'autrefois n'en est pas plus parfait. L'essai n'est pas nostalgique d'un paradis perdu. Toutefois, cette conception semble considérer que le monde «a été conçu», il aurait été préférable de préciser, «façonné par l'homme». Ainsi, si l'homme est l'instigateur de la conception du monde, il est directement responsable de son déraillement. Tout est question de nature humaine...

Dérèglement du monde.
Il s'explique bien sur par les désordres économiques et financiers extrêmement prégnants dans l'actualité. La notion de régulation mondiale est omniprésente dans les discours médiatiques et politiques.
A. Maalouf semble considérer que le plus grand dérèglement du monde est intellectuel. Nous sommes passés ces dernières décennies d'un monde aux clivages idéologiques où le débat occupait une place fondamentale, à un monde où les clivages sont essentiellement identitaires (majoritairement religieux) et où le débat et les dialogues ont disparu. L'effondrement du bloc soviétique a permis au système capitaliste de s'imposer, sans concurrence. Il n'y a désormais plus qu'un seul modèle de société imposant de fait une stérilité intellectuelle au monde.
L'écrivain ne semble cependant,pas prendre en compte, même s'il le fait lui aussi à sa manière, le fait que ce modèle de société est aujourd'hui profondément contesté. Les voix proposant un autre monde sont désormais nombreuses.

Dérèglement du monde.
Ce dérèglement tient fondamentalement de la non-résolution et de l'affrontement de conflits identitaires. Pour A. Maalouf, une revendication identitaire est légitime du moment qu'elle n'empiète pas sur les identités et libertés d'autrui. L'affirmation identitaire doit s'inscrire dans une logique de coexistence avec les autres appartenances identitaires.
Transposant cette notion aux relations internationales, l'auteur constate qu'il y a souvent amalgame entre volonté de civiliser et de dominer. Pourquoi vouloir civiliser le reste du monde si celui-ci n'est pas civilisable? La relation de l'occident au reste du monde s'exprime fréquemment à travers la volonté d'exporter le modèle démocratique «à l'occidental». Cependant cette exportation est souvent imposée par la force. Les États-Unis sont ainsi intervenus en Irak au prétexte de vouloir y amener la démocratie, on constate aujourd'hui la sincérité de l'argument...
Les sociétés du monde arabe, connaissent pour certaines un fort niveau de développement, ne se voient pas proposer des tentatives démocratiques de qualité. Les attentes des populations sont pourtant fortes(Iran).
Il apparaît qu'un fonctionnement démocratique peut-être facteur de fractionnement communautaire. L'auteur dément, prenant pour référence l'Inde, où les communautés, bien que très nombreuses, cohabitent démocratiquement, puisque toutes préservées.
Le monde est déréglé car incapable de faire face aux aspirations identitaires de certaines communautés.

Dérèglement du monde.
Le monde est aujourd'hui un espace structuré par des flux, espace de transit, monde en transition. Ces flux ne sont pas exclusivement marchands ou financiers, ils sont aussi migratoires et donc humain. La place des immigrés représente un réel enjeu de société. Il apparaît complexe pour un immigré d'arriver à s'intégrer pleinement dans une société d'accueil tout en préservant des liens indéfectibles avec sa société d'origine. La pleine intégration à une nouvelle société entrave généralement la relation de l'individu à ses origines. La personne immigrée devient souvent doublement étrangère, presque apatride. Mais pour A. Maalouf, ce sont ces appartenances identitaires et communautaires multiples qui font la richesse d'un individu, à conditions qu'elles assumées et reconnues...

Vision intéressante que celle que nous a présenté Amin Maalouf, celle d'un monde déréglé par l'épuisement et l'affrontement des civilisations. Le monde est selon lui proche de son «seuil d'incompétence morale». Il considère que le monde fonctionnerait mieux (et pas bien...) si toutes les identités étaient positivement et librement vécues.

Discours, il me semble, assez réducteur. Pour A. Maalouf, les identités sont avant tout vécues individuellement. Cela induit de fait des seuils de tolérance et de cohabitation plus réduits. Les sentiments d'appartenance semblent enfermées dans des considérations trop identitaires et théoriques. Il me semble que l'Homme a toujours orienté le monde de façon à ce qu'il réponde à ses besoins et à ses propres considérations. Ainsi, pour moi le monde n'est pas «déréglé», il est plus profondément mal régulé . Nous sommes responsables de cette mauvaise gestion du monde, ne nous déculpabilisons pas, la dérive des civilisations est du ressort de chaque être humain. Parce qu'il n'y a pas de «dérèglement», mais une «mauvaise régulation»...

Lucie. Rober

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