vendredi 16 octobre 2009

Le corps anormal

Conseil général 10/10/09 17h-17h30
Le portrait d’Antonietta

Élisabeth Latrémolière conservatrice au Château de Blois nous présente le portrait d’Antonietta, peint en 1583 par Lavinia Fontana. Antonietta est atteinte d’hypertrichose congénitale, une maladie extrêmement rare qui touche une personne sur 1 million. Elle est due à un dérèglement hormonal qui provoque une forte pilosité sur une partie ou l’ensemble du corps. Antonietta pose vêtue d’un costume de cour à la mode italienne de la fin du XVI e siècle. Cela démontre qu’elle est considérée comme une personne de qualité, et non pas comme un « bouffon ». La lettre qu’elle tient permet de l’identifier. Elle est la fille de Don Pietro Gonzales. Celui-ci a un destin extraordinaire. Il naît dans les Iles Canaries en 1556. A l’âge de 10 ans il est offert à Henri II et va vivre à la cour royale. Don Pietro reçoit une éducation approfondie qui fera de lui un homme de cour lettré. Il mène une vie prospère. Propriétaire de plusieurs maisons à Paris il est qualifié de docteur en droit et pensionnaire du Roi. Il se marie avec Catherine Raffelin avec qui il a sept enfants, trois d’entre eux sont atteints par la maladie.

La famille quitte la France en 1591 pour se rendre à la cour du Duc de Parme à qui elle a été offerte. Par la suite, la petite Antonietta est offerte à nouveau à la Marquise de Sarrogna. Elle est alors emmenée à Bologne devant le naturaliste Ulysse Aldrovandi qui prend des notes pour son livre, Histoire des monstres. Il veut obtenir un portrait de la jeune fille. Il est donc probable que le tableau est été réalisé à l’occasion de cette rencontre. Lavinia Fontana, la peintre qui exécute cette œuvre est une spécialiste des portraits de cour qui représente des femmes et des enfants accompagnés d’animaux. Ce tableau serait peut-être pour elle une synthèse entre une représentation animale et un portrait de cour. Une véritable passion s’est développée chez les princes de l’époque. Tous veulent un portrait, une gravure de ce phénomène à installer dans leurs cabinets de curiosités.

Bien que la famille Gonzales soit intégrée aux plus hautes sphères de la société, c’est une intégration qu’on pourrait qualifier de marginalisée. En effet, la famille obtient ce prestige et cette popularité pour la seule fascination qu’elle opère sur ses contemporains. Mais il semble que ses membres atteints d’hypertrichose soit plutôt considérés comme « objet de curiosité » plutôt que comme individu dans la mesure où ils ne disposent pas de leurs libertés. Ils sont « offerts » comme un objet à la mode. Leurs tenues d’apparat n’ont-elles pas pour objectif de rendre plus attractif un être déjà bien curieux?

Le portrait du père qui offre un double dialogue illustre bien le sentiment que la maladie évoque aux contemporains. La scène se situe dans une grotte, Don Pietro richement vêtu pose tel un homme de cour. Ainsi, il semble être considéré entre humanité et animalité. Pour comprendre l’état d’esprit des contemporains face à l’anormalité du corps il faut savoir que le XVIe siècle est caractérisé par son intérêt pour les phénomènes monstrueux ou extraordinaires. A tel point que l’on peut parler de cette période comme du « temps des monstres ». Tous animaux exotiques, créatures mythologiques, où phénomènes physiques non expliqués comme l’hypertrichose étaient qualifiés de monstre. Ainsi, la vie d’Antonietta et de son père illustrent la manière dont les Européens du XVIe siècle appréhendaient l’anormalité du corps, entre peur et fascination.
Anaïs Boutrolle

1 commentaire:

  1. Bonjour Anaïs Boutrolle,
    Je suis écrivain et en train d'écrire un roman dans lequel Antonietta Gonsalvus et son père Petrus apparaissent dans plusieurs chapîtres. J'ai fait des recherches sur internet et je suis tombée sur ce blog par hasard. Me permettez-vous de citer votre petit paragraphe suivant: "Pour comprendre l’état d’esprit des contemporains face à l’anormalité du corps il faut savoir que le XVIe siècle est caractérisé par son intérêt pour les phénomènes monstrueux ou extraordinaires. A tel point que l’on peut parler de cette période comme du « temps des monstres ». Bien entendu, si vous acceptez, je vous citerai dans mes sources.
    Bien à vous,
    Christiana Moreau, christianamoreau@yahoo.fr

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