lundi 30 novembre 2009

Du boulet au bracelet éléctronique, des corps sous main de justice



Cette table ronde autour du corps emprisonné a eu lieu le jeudi 8 octobre à l’Amphi Rouge du Campus de la CCI, de 17h à 18h30. Elle était organisée par l’ARAPEJ de Blois, c'est-à-dire l’Association-Réflexion-Action-Prison-et-Justice, et réunissait Christiane Perrin, la présidente de l’ARAPEJ, Alain Cugno : philosophe et vice-président de la Fédération des ARAPEJ et Pierre V. Tournier, directeur de recherches au CNRS et qui a également mené une recherche sur les arrangements des peines privatives dans les établissements pénitentiaires du ressort de la cour d’appel d’Amiens. Un quatrième intervenant : Jean Charles Froment, professeur de droit à l’université Pierre Mendès-France de Grenoble II, était prévu mais n’a malheureusement pu assister à la conférence, il était en effet retenu chez lui pour des raisons personnelles. L’organisation de cette table ronde en a donc été un peu modifiée.

C’est donc Christiane Perrin qui a ouvert le bal par une introduction sur ce thème de l’homme et de la prison. La prison frappe l’imaginaire collectif par ses zones d’ombres et ses mystères. Le châtiment corporel, la prison moderne ou républicaine, le bagne : depuis tout temps, l’homme n’a cessé d’élaborer des stratégies pour restreindre le corps de celui qui avait fauté.
L’année 1789 est marquée par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, deux ans plus tard : la prison devient le premier lieu de l’accomplissement de la peine. Après la Seconde Guerre Mondiale vont se dessiner les grandes lignes de la peine pénitentiaire qui sont encore d’actualité à au XXIème siècle.
Aujourd’hui on parle également de « prison ouverte » c'est-à-dire avec des moyens, tels que le bracelet électronique entre autres, qui introduisent le consentement et la responsabilité du détenu, il devient l’acteur de sa détention.
Certes le thème de l’enfermement est abordé mais il ne faut pas oublier celui de la sortie de prison qui doit être préparé et encadré.

Pierre V. Tournier a abordé le concept du corps sous main de justice, c’est un concept contemporain qu’il a divisé en deux temps. Tout d’abord il faut définir et quantifier les concepts, pour lui il y en a quatre qui sont très enchevêtrés. On retrouve tout d’abord l’idée du corps sous écrou à savoir : la prison. En fait l’écrou désigne l’acte juridique qui fait que l’homme est placé dans un établissement pénitencier, c’est donc un corps détenu. C’est une notion compliqué particulièrement en ce moment, en effet on compte 66 000 corps sous écrou en France, soit un habitant sur mille, chiffre qui est en constante augmentation depuis quelques années, mais pourtant sur ces 66 000 personnes, toutes ne sont pas en détention. Aujourd’hui il existe d’autres formes de contraintes, notamment électronique, qui permettent une absence de détention dans l’établissement pénitencier. On assiste en ce moment à un débat à l’assemblée et au Sénat sur cette question : comment éviter l’augmentation du nombre de détenu grâce à ce système de surveillance électronique. Deuxième concept : c’est justement celui de ce corps sous surveillance électronique qui a donc déjà été bien évoqué. Autre idée : celle du corps sous main de justice qui comprend les détenus, les personnes sous surveillance électronique et ceux qui sont compris dans un ensemble de mesures qui leur permettent de ne pas aller en prison comme par exemple le travail d’intérêt général ou ceux qui bénéficient d’un contrôle judicaire. Enfin troisième et dernier concept : celui du corps enfermé. Bien sûr il est question de l’enfermement dans les prisons, mais pas seulement puisque l’on retrouve également l’enfermement légal dans les ministères et les institutions, mais également un enfermement plus complexe qui est celui dans les hôpitaux psychiatriques. En France, on parle d’UMD, que l’on retrouve dans certains hôpitaux psychiatriques, c'est-à-dire les Unités pour Malades Difficiles encadré uniquement par des équipes soignantes, il s’y côtoient trois catégories de personnes toutes dangereuses : ceux qui ne sont jamais passés à l’acte donc qui n’ont jamais tué mais qui sont très susceptible de le faire, ceux qui ont tué (et se sont presque exclusivement des hommes) mais qui au cours de leur processus pénal ont été déclaré irresponsable aux yeux de la loi car atteint pour la plupart d’une maladie mentale et enfin ceux qui ont tué mais qui ont été jugé responsable mais qui vont au cours de leur emprisonnement : « péter un plomb» et devenir dangereux pour eux et les autres détenus. C’est au vu de ce mélange, de ce melting-pot entre personnes que la question de l’enfermement devient complexe. En France aujourd’hui on compte 77 000 personnes qui sont enfermé que se soit dans le cadre de la prison (donc une mise sous écrou), ou alors dans un hôpital psychiatrique, dans un lieu de rétention administrative, les personnes en garde à vue sont également prises en compte. Chaque année 780 000 décisions d’enfermement, qui peuvent être inférieures à 24 heures, sont prises par une autorité légale. Un seul homme en France est en prison depuis plus de quarante-cinq ans, et il n’est pas prêt de sortir, tout du moins pas de son vivant, car il a écopé de deux peines de prison à perpétuité.
Pierre V. Tournier a ensuite entamé la deuxième partie de son développement sur la définition du placement sous surveillance électronique aujourd’hui en France. Il existe deux formes de ce système de placement : la première est une surveillance mis en place en France en 1997, elle permet de s’assurer que le détenu reste dans un lieu (le plus souvent sa maison) lors d’horaires définis. C’est un système assez limité mais qui gère néanmoins 4 000 personnes en France. Le second moyen de contrôle est la surveillance mobile avec un GPS, un contrôle 24 heures sur 24 et il y a également la possibilité des zones d’interdiction surtout dans le cas des pédophiles qui n’ont pas le droit d’approcher des écoles ou touts autres lieux fréquentés par des enfants.

Alain Cugno a quant à lui étudié le problème sous une approche plus philosophique. Il s’est notamment posé la question très complexe, à savoir de quel droit puis-je enfermer mon semblable ? Il apparait impossible d’enfermer son semblable car ce dernier est forcément libre et cela de manière irréductible. Le lien de cohésion par la liberté et par l’indépendance réciproque fait partie du concept de loi. En fait la loi est présente pour que nous puissions être libres. La légitimité qu’il a à enfermer quelqu’un est donc aussi difficile à établir que la légitimité qu’il y a à tuer quelqu’un.
La question de l’enfermement psychiatrique est également abordée avec cette interrogation : qu’est-ce qui nous autorise à enfermer quelqu’un dont nous pensons que son état psychique ne peut le laisser dehors ? Le droit d’enfermer la folie se fonde sur la dangerosité, et sur le fait que la réalité est devenue un danger pour le fou. Il y a donc une rupture entre lui et nous. L’enfermement psychiatrique prend plus la forme du soin, de la thérapie dans le but de protéger. Le problème qui se pose aujourd’hui est que les gens ont fait un peu vite le rapprochement entre phénomènes psychologiques et délinquance : on a désormais tendance à « psychologiser » la délinquance et on fait également de la « folie délinquante ».
On ne peut pas banaliser l’enfermement de quelqu’un, la prison étant désormais la peine ultime, elle est par conséquent la peine de dernier recours. En 1981 on assiste à l’abolition de la peine de mort, ce fut bien sur une grande évolution mais qui ne fut pas comprise dans sa finalité. A partir du moment où la peine de mort a été aboli, l’opinion publique a cru que désormais toute peine de mort serait commué en peine de prison à perpétuité, et pourtant ce n’est pas le cas, mais la prison a « avalé » la peine de mort. La peine de prison doit être vue en terme de vie et non de mort.
Des affirmations sont faites par l’ensemble des détenus : le refus que l’institution pénitentiaire soit vu comme le lieu qui leur ait permis de se transformer. Il y a également la reconnaissance des détenus envers quelques personnes travaillant dans ce milieu pénitencier : les gardiens, le directeur par exemples.
En conclusion de son développement, Alain Cugno rappelle que la prison n’est pas faite pour la réinsertion mais qu’au contraire, elle doit tout faire pour cette réinsertion, son but réel reste la garde de prisonnier

Pierre V. Tournier et Alain Cugno ont souhaité clore la conférence par une lecture de l’ouvrage de Victor Hugo : Les Misérables.

Cette conférence a permis une approche pluridisciplinaire de ce thème du corps emprisonné. Il permet aussi de comprendre à quel point ce sujet est actuel, d’autant plus à l’heure où l’on parle du procès de Francis Evrard qui a commencé récemment. Cet homme condamné à trois reprises depuis 1975 pour attentat à la pudeur et viols sur mineurs, avait récidivé en 2007 sur un enfant de cinq ans, quelques mois à peine après sa sortie de prison. Cette affaire relance le débat sur le contrôle des délinquants sexuels à leur sortie de prison.

Lydia B.

Il est possible de se renseigner sur ce sujet e consultant le site d’Arapej : http://www.arapej.fr/, mais également en consultant les publications de Pierre V. Tournier, dont voici quelques exemples :
_ Violences sexuelles. Approches de démographies pénales, Observatoire national de la délinquance (OND), Collection « débat », n°1, janvier, 2008, 37 pages.
_ Loi Pénitentiaire. Contextes et enjeux, Editions l’Harmattan, coll. Sciences criminelles – Controverses, janvier 2008, 114 pages
_ Quand nécessité fait loi. Alternatives à la détention : faire des mesures et sanctions privatives de liberté l’ultime recours ? Contribution au débat sur le projet de loi pénitentiaire. Université d’Aix-en-Provence Marseille 3, Colloques « Enjeux et perspectives de la loi pénitentiaire », 27 septembre 2008, Revue pénitentiaire et de droit pénal, Éditions Cujas, octobre décembre 2008, n°4, 827-854
_ Le Babel criminologique. Formation et recherche sur le phénomène criminel : sortir de l’exception française ? Colloque du 3 février 2009, au siège du CNRS, Éditions l’Harmattan, coll. Criminologie (sous la direction de Pierre V. Tournier)

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