jeudi 19 novembre 2009

Corps laissés à la dérive…


Sous l’illustre présidence du cinéaste et écrivain Claude Lanzmann, les Rendez-Vous de l’Histoire 2009 ont été à l’origine du décernement d’un nouveau titre cinématographique : le prix du cinéma de fiction historique du temps présent.

De nombreux films ont été inscrits sur la liste des nominations, pour finalement voir sacrer le premier long-métrage de Steve Mc Queen, « Hunger ».
Mais quelle portée donner à ce nouvel honneur ? En réalité son titre est suffisament équivoque, car il entend décerner un prix à une œuvre de fiction dont l’écriture et la mise en scène ont apporté une contribution notable à la compréhension du temps présent et au travail de mémoire. C’est en cela que le scénario de « Hunger » s’est inscrit dans la vision et l’objectif donné à ce nouveau prix.

Prison de Laze, Irlande du Nord, 1981. Le réalisateur plonge notre regard critique de spectateur au sein du quartier H de cette prison, où sont incarcérés les prisonniers politiques, membres de l’IRA. Depuis près de cinq longues années, la grève des couvertures et de l’hygiène fait rage et conduit à de sanglantes intercations entre gardiens et prisonniers.
La revendication est simple : obtenir le statut de prisonnier politique, aboli suite à une décision du parlement britannique du 1er mars 1976.
Pour cela les prisonniers utilisent leurs corps comme dernier geste d’espoir, comme dernier moyen de protestation. Refusant de se laver, de porter des vêtements civils, étalant leurs excréments sur les murs de leurs cellules, ils soumettent les gardiens à une pression psychologique des plus rudes, dans le seul but de les faire céder à leurs revendications.

Steve Mc Queen a écrit en 2008, à la suite de la réalisation de son premier long-métrage :

« La conception du corps comme champ de bataille politique est une notion des plus actuelles. Il s’agit de l’acte de désespoir ultime car le corps humain est la dernière ressource de la contestation ».

A cela s’ensuit une grève de la faim organisée par le leader en chef des prisonniers politiques du quartier H ou la célèbre figure historique de Bobby Sands.
Cet homme a été plongé, dès sa plus jeune enfance, dans les tourments de la vie politique de son pays. De famille catholique, sa maison fut attaquée en 1972 par des protestants. A 18 ans, las des menaces répétées de ses collègues protestants envers sa religion, il rejoint les forces de l’armée républicaine irlandaise. Arrêté puis jugé pour ses actes terroristes, il sera ensuite incarcéré à la prison de Larz où il continuera de mener la révolte des prisonniers. Ainsi, en mars 1981, Bobby Sands décide de frapper encore plus fort et entame une grève de la faim.

Ses paroles, prononcées lors d’une discussion avec un prêtre catholique, montrent à quel point sa détermination était forte :

« Ma vie c’est tout pour moi. La liberté, c’est tout. Je ne mets pas ma vie en jeu parce que c’est la seule option mais parce que c’est juste »

Durant 66 jours, le spectateur va suivre Bobby Sands dans sa lutte sans merci contre son corps qui, privé de nourriture, se détériore à vue d’œil. Aucune scène, aucun spectacle ne nous est épargné, allant de la vision du sang craché à celle de son dernier souffle rendu entre les bras de sa mère. A 1h17, le 5 mai 1981, Bobby Sands décède après soixante-six jours de supplice. Il a alors 27 ans et vient d’être élu député au parlement de Westminster.
Neuf autres prisonniers le suivront dans la mort, avant que le mouvement de grève ne prenne fin avec la reddition du gouvernement britannique qui se rend aux exigences de prisonniers. Néanmoins, le statut de prisonnier politique ne verra pas le jour et les prisonniers de l’IRA, incarcérés dans le quartier H resteront considérés comme des prisonniers de droit commun.

Choquant. Exagéré. Répugnant. Désolant. Autant d’adjectifs qui nous viennent en tête au moment où le générique se projette sur le grand écran.
Des hommes qui en viennent à martyriser leur corps, à le pousser jusqu’à la mort pour parvenir à des fins politiques paraît une vision aberrante. Pour nous qui vivons dans un pays où nos libertés sont respectées, où nous pouvons sortir dans la rue sans se faire agresser, il nous semble improbable de devoir en venir à de telles fins pour nous faire entendre.
Cela s’est passé il y a une vingtaine d’années mais cela se passe encore dans de nombreux pays. L’Irlande est ici montrée en exemple en ce qu’elle constitue l’image d’un pays où les droits de l’homme sont respectés, un pays où la liberté est supposée être conservée pour chaque homme, chaque femme et chaque enfant. Et pourtant…

Le sujet « Le corps dans tous ses états », exposé au sein des Rendez-Vous de l’Histoire trouve alors ici toute sa signification.
A la vision de tels massacres, de telles violences commises au nom d’un idéal, au nom d’un espoir politique, il nous faut nous interroger. Sommes-nous vraiment à mêmes de parler de liberté et de respect de soi si nous laissons un autre être humain se donner la mort au nom de ces notions ?

Ma réponse est simple : Non…
Nous ne pouvons nous regarder dans le miroir chaque matin, se maquiller le visage, préparer son corps à une nouvelle journée alors que des hommes et des femmes laissent leur même corps partir à la dérive et ce, parce que personne ne les écoute ou ne les comprend.
Nous ne pouvons rester là, assis dans nos fauteuils confortables à regarder ces corps entassés dans des prisons, ces corps qui attendent la délivrance finale car le monde les a oubliés.
Nous sommes tous des êtres humains. Nous avons tous le même corps. Nous avons tous droit à la liberté et au respect alors ne restons pas là à nous morfondre…
Nos corps doivent parler pour nous, mais pas de cette manière, pas comme ça !


Gaëlle Herchin

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