mardi 1 décembre 2009

Corps souffrants, corps saints, corps glorieux

Cette conférence qui a visiblement suscité beaucoup d’intérêt (la salle est remplie en moins de dix minutes) est présentée par quatre intervenants, Isabelle Saint Martin maître de conférences à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Marie-France Baslez professeur d’histoire ancienne à l’Université de Paris XII, Mohammed Ali Amir Moezri islamologue et Denis Pelletier professeur à l’EPHE.

Chaque intervenant a choisi de présenter à tour de rôle les trois axes autours desquels s’articulait le sujet.

Les corps souffrants

http://k53.pbase.com/u13/francist/large/20004910.461F9244lou.jpgPour illustrer son propos Isabelle Saint Martin à l’aide d’un diaporama commence par nous montrer entre autres le retable de Saint Denis par Henri Bellechose, commandé par Jean sans Peur. Elle nous a appris que le Christ n’est pas représenté souffrant dans l’iconographie mais au contraire plutôt glorieux face à la mort, du moins jusqu’au XVe siècle, ici donc il l’est : la tête inclinée sur l’épaule, la plaie sanglante. De part et d’autre de la crucifixion on voit saint Denis qui reçoit la communion des mains du Christ et saint Denis juste avant sa décapitation, dans la tradition il est représenté céphalophore. D’après Isabelle Saint Martin la souffrance christique n’est représentée que tardivement, elle prend corps dans la devotio moderna, la dévotion à la souffrance du Christ par laquelle le fidèle prend conscience que ses péchés le rendent responsable de la souffrance du Christ.

Reproduction imprimée de  Le Christ rougeEn ce qui concerne l’époque contemporaine, nous dit Denis Pelletier, les représentations du Christ souffrant sont nombreuses. Pour nous donner une idée il fait allusion à l’œuvre de Lovis Corinth (1858­-1925), Le Christ rouge le Christ y est représenté entre le porte lance et le porte éponge, sa chair apparaît mutilée, la notion de salut semble absente à la vue de cette œuvre.

Un autre exemple, à mon sens plus parlant, est celui de Jean Paul II à la fin de sa vie qui a suscité l’émotion des catholiques comme des non-catholiques car même si la souffrance de ce saint homme n’entraine pas d’adhésion au christianisme, nos sociétés sont fondamentalement doloristes.

Dans la tradition chrétienne ainsi que dans la tradition juive, nous explique ensuite Marie-France Baslez, une place très importante est donnée à la souffrance ; Au contraire elle est bannie dans d’autres civilisations antiques car elle représente le bannissement par Dieu. Ainsi dans les tragédies on évoque la souffrance mais on ne la représente pas. La représentation de la souffrance constitue une révolution anthropologique. A noter que la valeur expiatoire de la souffrance apparaît au IIe siècle, le chrétien qui souffre imite le Christ, le martyre s’identifie à lui, pour s’en convaincre il suffit de lire saint Paul lorsqu’il parle de Perpétue s’apprêtant à mourir dans l’amphithéâtre, la souffrance devient le point de contact entre l’humain et le divin.

Après avoir traité la notion de corps dans le monde chrétien, Mohammed Ali Amir Moezri nous invite à nous pencher sur le cas de l’islam, ainsi la notion de corps ne fait pas l’objet de spéculations théologiques. Dans les trois premiers siècles de l’islam il existe toutefois une mystique acétique de la crainte dans laquelle le corps souffre pour libérer l’esprit. Cette mystique est inspirée par le monachisme chrétien en Orient. Ce mouvement reste éphémère et prend fin vers les IXe – Xe siècle. Une chose importante à noter dans l’islam est que le corps, et surtout lorsqu’il est beau, est considéré comme le miroir du divin.

Les corps saints

Au tour de la notion de corps saint et de la question des reliques. Le corps saint c’est le corps du martyre, celui qui témoigne de sa foi par la souffrance. Isabelle Saint Martin nous présente un reliquaire, celui de Saint Luc, cet objet porte la trace du saint et de sa souffrance, pourtant certains n’ont pas souffert pensons à Saint François d’Assise, saint sans être martyr. Aussi les corps des martyrs sont montrés sous leur plus belle forme, comme l’est la sainte parmi les saintes, la Vierge Marie, prenons pour exemple la Vierge à l’Ostie d’Ingres.

Aux origines du christianisme, les choses étaient pourtant plus compliquées, en effet la personne représente plus aux yeux de la communauté de son vivant, mais le martyre dans sa souffrance devient un intercesseur avec Dieu. Toutefois M-F Baslez nous rappelle que le culte des reliques est tardif même si les textes apocryphes disent que les restes des saints portent la « charis » c'est-à-dire la grâce de Dieu, bien entendu les instruments de la passion du Christ sont les plus précieux. Dans tous les cas le culte des reliques prend de plus de plus d’importance au Moyen Age car elles sont responsables de miracles, de guérisons merveilleuses…

Dans l’islam l’ascétisme devient populaire surtout dans le deuil et le culte des reliques d’influence chrétienne après les croisades. Aux IXe – Xe siècle émerge une mystique : le soufisme dans laquelle il existe une notion de sainteté du corps en tant que manifestation de quelque chose de divin, de transcendantal. Dieu est beau, il aime la beauté, le corps véhicule alors ce qu’il y a de plus parfait : l’âme humaine, or l’âme humaine c’est Dieu. Mohammed Ali Amir Moezri parle de circulation entre la matière et l’esprit à travers le corps.

De nos jours les représentations du corps saint son peu nombreuses, la conception de sainteté, plutôt laïque, du corps n’est plus la même, aujourd’hui cette sainteté pourrait être celle du corps toujours en parfaite santé, cette responsabilité vis-à-vis de notre corps pourrait s’apparenter à une forme d’ascèse contemporaine, dans laquelle l’individu s’impose de rester jeune et beau.

Les corps glorieux

Dans l’art chrétien, le Christ glorieux n’est mis en scène que tardivement. Pour exemple nous pouvons prendre le retable d’Issenheim.

D’après Erwin Panofsky, la résurrection christique annonce la celle des corps, au contraire dans son Evangile, Saint Jean parle d’une résurrection universelle, alors que Saint Luc ne l’envisage que pour les justes.

A l’origine, la résurrection est liée à la souffrance. La résurrection est perçue comme une espérance tirée de la vision d’Ezéchiel (Ez. 37, 7). L’espoir naît de retrouver son corps dans son intégrité. Dans les Evangiles il même dit que le corps devient glorieux, c’est la transfiguration du corps évoquée dans l’Apocalypse de Jean, elle nourrit l’espérance des martyres notamment comme saint Etienne au moment de sa lapidation. Dans l’Antiquité le corps immortel, c’est celui qui est beau et jeune, ainsi pour les civilisations gréco-romaines, il est difficile d’admettre que le corps retrouve son intégrité après la mort alors qu’il a été abîmé d’une manière ou d’une autre.

Il est très intéressant de s’apercevoir que dans l’islam, il n’y a aucune notion de résurrection ou de corps glorieux, dépassant tout y compris la mort, tout au plus peut-on y rapprocher la notion de corps subtil : le corps est fait d’une enveloppe subtile qui se développe tout au long de la vie et qui peut traverser la mort.

Enfin de nos jours la gestion des corps morts passe par l’enterrement, pratique qui reste marquée par la religion, le recueil auprès d’une tombe pour le souvenir du mort, car la religion chrétienne est la première à affirmer que le mort n’est pas un cadavre, pour exemple Michel Foucault lorsqu’il parle de la Guerre de Troie constate que le terme « corps » c'est-à-dire « soma », n’est utilisé que pour désigner des cadavres. Ainsi peu importe que nous nous prétendions chrétiens ou non, l’enterrement reste, au-delà du mariage (autre pratique fondamentalement marquée par la religion), la pratique la plus répandue.

En conclusion j’ai trouvé très intéressant d’aborder ces thèmes à la fois sous l’angle des périodes mais aussi sous celui des religions, notamment en ce qui concerne l’islam, on se rend alors compte que certains concepts sont très différents voire inexistants.

Pauline R.

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